samedi 10 janvier 2015

#JesuisCharlie - Ils ont tiré sur notre liberté de refuser et notre droit à la complexité

C'est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal.
Hannah Arendt


Depuis mercredi 7 janvier, nous avons été nombreux à dire et manifester que les assassins qui ont ensanglanté la France cette semaine avaient voulu abattre notre liberté d'expression.
Pouvoir dire, écrire et diffuser ce que bon nous semble, y compris les pires stupidités ou insignifiances, est au coeur des valeurs d'ouverture et de pluralisme.
Ce qui a été moins souligné, probablement à cause du deuil et de l'émotion, c'est que cette liberté de base a deux pendants tout aussi essentiels.

La liberté de refuser

Dans une société libre, comme chacun a le droit d'émettre ce qu'il souhaite, par voie de conséquence, chacun a aussi la possibilité de ne pas recevoir ce qui l'ennuie ou le désintéresse.
Très honnêtement, Charlie Hebdo, que j'avais lu dans ma jeunesse, ne me plaisait plus et, tout simplement, je ne le parcourais pas.
Je pourrais continuer la liste très longue des médias auxquels je suis hermétique.
De même, je pourrais énumérer toutes les innombrables pratiques culturelles, politiques, religieuses, sexuelles, sportives, professionnelles, linguistiques, culinaires et que sais-je encore qui me déplaisent et que j'ai banni de mon quotidien.
Il me faut aussi citer les quelques 66 millions français qui refusent obstinément de lire mes publications sur internet, sans parler des trop nombreux tunisiens, belges et autres francophones.
Ce tri permanent est, à bien y réfléchir, assez exigeant. Il suppose que chacun, consciemment et inconsciemment, se définisse, choisisse ce qu'il veut faire et donc décide de ce à quoi il renonce.
Je souhaite pouvoir déterminer seul si je lis ou ne lis pas Charlie Hebdo. Pas que quelqu'un d'autre, a fortiori armé, se substitue à mon libre arbitre.
Évidemment, penser par soi-même - c'est à dire être au sens étymologique un refuznik - est une abomination qui terrorise les terroristes et leurs mentors totalitaires.

Le droit à la complexité

Les tenants des totalitarismes, quels qu'ils soient, simplifient le monde selon une logique d'exclusion, A OU B, eux OU nous.
Une société de liberté est aussi une société de complexité pratiquant la logique inclusive, A ETET un peu de C ET pourquoi pas du D.
Je peux être français ET semi-auvergnat ET apprécier la nourriture épicée ET ne jamais mettre les pieds dans une église ET fréquenter une pagode ET abonné au gaz AINSI que les compétitions de badminton ET voter François Bayrou.
Alors que mon voisin est ouzbek ET britannique ET un tiers dauphinois ET carbure au saucisson à l'ail ET à l'eau bénite ET est adhérent à la Fédération des Pêcheurs à la Ligne de Gauche.
Cette possibilité et cette réalité de mosaïque, de kaléidoscope fait le sel de nos sociétés d'ouverture. La liste des victimes des tueurs illustre d'ailleurs tragiquement la diversité française.
Là aussi, la complexité oblige à se comporter et à penser par soi-même, l'acte le plus effrayant pour un simplificateur armé et autoproclamé.

Pour conclure, une citation de Chokri Belaïd, assassiné en Tunisie en 2013 par les mêmes balles que Charlie Hebdo et les autres victimes :
“Nous avons un projet dans lequel ils ont leur place. Ils ont un projet dans lequel nous n'en avons aucune.”

No pasaran
#JesuisCharlie
#Jesuistouteslesvictimessansdistinction

Tristement mais opiniâtrement votre