lundi 15 juin 2015

Prostitution, alcool & cannabis, la France est-elle vraiment le pays de Descartes ?

Autant l'affirmer d'emblée, la traite des êtres humains ainsi que l'abus de substances addictives sont, à mes yeux, deux fléaux qui doivent être jugulés autant que faire se peut.

Toutefois, la législation française actuelle et ses probables futures évolutions contribuent à renforcer les aspects les plus malsains du travail sexuel et de la consommation de stupéfiants.
De surcroît, les motivations et la cohérence de l'arsenal judiciaire sont difficiles à distinguer.
Jugez sur pièces :
  • Le cannabis est interdit de vente en France.
    Paradoxalement, l'alcool dont les effets sur la santé et le psychisme sont grosso modo similaires est parfaitement légal.
    Sans oublier les cigarettes qui goudronnent les voies respiratoires avec la même célérité que les joints.
     
  • Fumer des pétards, dont la vente est pourtant illégale, est judiciairement accepté et fiscalement exempté.
    Sous peu, il en sera de même pour les injections d'héroïne, grâce aux salles de shoot qui bénéficieront d'un statut proche de celui des ambassades.
     
  • À l'inverse, prochainement, acheter une prestation à une prostituée sera pénalement répréhensible.
    Alors que vendre ou promouvoir des services sexuels restera ou redeviendra autorisé.
     
  • Cerise à l'eau de vie sur le baba au rhum, les vannes de la publicité pour l'alcool ont de grandes chances de s'ouvrir encore plus.
     
À n‘en pas douter, ce n'est pas le regretté René Descartes - père du rationalisme et icône nationale - qui a inspiré les parlementaires français lors de l'élaboration de telles réglementations mais plutôt le monde des bisounours agrémenté de zestes de morale.
Dans la tête de nos représentants, le buveur semble être un défenseur actif d'un art de vivre séculaire ; le fumeur de cannabis un brave type ayant besoin de relâcher un peu la pression ; l'héroïnomane une victime d'un système trop lourd à supporter ; la prostituée une pauvre créature aux mains de mafias sans foi ni loi et le micheton un immonde salopard machiste.

Pourtant au vu des chiffres, la réalité est autrement plus complexe.
  • Même si au fil de ces 50 dernières années la consommation d'alcool par tête a été divisée par 2 en France, 7 millions de français adultes ont été ivres au moins une fois dans l'année écoulée.
    Plus de 2 millions de compatriotes de Paul Ricard sont affectés par l'alcoolisme chronique.
    La bibine est la cause de 50 000 décès prématurés par an, soit 12 fois plus que la route.
    Les vins et spiritueux représentent environ 1% de la production nationale, 6 fois moins que le tourisme.
    Ils rapportent annuellement en taxes et impôts grosso modo 2 jours de prestations sociales, mais coûtent en frais de santé 5 jours de ces mêmes dépenses !
     
  • Le cannabis, de plus en plus tendance, a déjà été expérimenté par une quinzaine de millions de français. 4 millions tâtent du joint au moins une fois par an, 2 millions a minima mensuellement.
    Quelque part, il semblerait que moins on picole dans notre bel Hexagone, plus on y fume d'alcaloïdes !
     
  • La cocaïne et ses variantes ont déjà traversé les narines de 2 millions de personnes.
    Les amphétamines et l'ectasy ont fait voir des éléphants roses à un effectif sensiblement identique.
    Quant à l'héroïne, elle a coulé dans les veines de 400 000 français.
     
  • Les statistiques de la prostitution sont plus difficiles à établir.
    Environ 30 000 péripatéticiennes et péripatéticiens officient en France.
    Une part non négligeable d'entre eux est au mains de réseaux d'exploitation et de traite, mais aucun chiffre raisonnablement étayé n'existe.
    De rapides calculs d'ordre de grandeur permettent de cuber leur clientèle entre 2 et 8 millions de personnes.
     
Plonger dans le stupre et la fornication - comme aurait dit le non moins regretté Georges Brassens - est profondément ancré dans la nature humaine.
Tout laisser faire, sans aucune restriction, ouvre la porte aux pires dérives.
Si la liberté de débauche et d'intoxication fait incontestablement partie des droits humains inaliénables, elle doit cesser lorsqu'elle menace la liberté ou l'intégrité d'autrui.

Mais espérer dissuader par la répression des millions de délinquants répétitifs est illusoire.
Ainsi, l'an dernier, en France, à peine 1 personne sur 15 ayant abusé de la dive bouteille est passée dans le radar des forces de l'ordre, le plus souvent avec des conséquences judiciaires nulles ou minimes.
Une méthode semi-saoudienne consisterait à expédier quelques semaines à l'ombre chaque ivrogne repéré par les pandores. Seul hic à ce traitement de choc, il nécessiterait la multiplication par 2 à 3 des places de prison.

Historiquement, aucune prohibition n'a jamais obtenu de baisse durable du nombre d'usagers du “vice” qu'elle était sensée combattre.
Proscrire alcool, joints et prostitution supposerait, en France, de mettre sous surveillance policière serrée une bonne dizaine de millions de personnes.
Les 250 000 gendarmes et policiers actuels - même renforcés par les 150 000 viticulteurs frappés par l'impossibilité d'écouler leur production - ne parviendraient pas à accomplir cette tâche plus faite pour Hercule que pour Bacchus.
Le risque serait même élevé que les flics se mettent à la coke pour tenter d'échapper au burn-out.

La seule réussite des politiques d'interdiction - fussent-elles euphémisées en “pénalisation des clients” - est d'enrichir les mafias.
Le grand banditisme profite d'une demande très peu modifiable - et donc très peu modifiée - pour fournir, sous le manteau, à prix d'or et avec les pires méthodes, ce que le marché officiel n'est plus en mesure de livrer au grand jour.

Pour limiter réellement les effets néfastes de l'alcool, des drogues et du sexe tarifé, sans en créer de pires, seules des politiques pragmatiques, dénuées de tout moralisme, sont efficaces.
Transformer le marché noir en marché blanc ou, à défaut, gris recèle plus d'avantages que d'inconvénients.
Pour ce faire, une combinaison de plusieurs actions s'impose :
  • Très fortes doses d'information, de prévention et de réinsertion.
     
  • Légalisation réglementée et fiscalisée des pratiques à la dangerosité raisonnable.
    Autrement dit, donner au cannabis un statut proche de celui de l'alcool et organiser la prostitution comme dans la majorité des pays européens.
     
  • Répression accrue en moyens et en sanctions des trafics de personnes et de produits à haute toxicité.
     
Alcoolo-cannabiquo-sexuellement votre

Références et compléments
- Laurent m'a soufflé, il y a une grande lurette, le thème de cette chronique.

- Ce billet a probablement énervé de fidèles lecteurs. Pour me faire pardonner, je leur ouvre les colonnes de ce blog où ils pourront me porter la contradiction.

- Voir aussi, sur des thèmes voisins, les chroniques :
- Si beaucoup de monde a un avis sur l'alcool, les drogues et la prostitution, peu d'études chiffrées et dûment documentées existent.
Pour les chiffres de cette chronique, j'ai utilisé trois sources principales, toutes parfaitement officielles :
- Pour calculer la clientèle de la prostitution en France, j'ai effectué le raisonnement suivant :
  • 30 000 prostituées actives en France.
    Les chiffres varient entre 10 000 et 40 000 suivant les sources.
    30 000 est la valeur faisant - sans jeu de mot - consensus.
  • En moyenne, on peut supposer qu'une prostituée travaille 20 jours par mois et fournit des prestations à environ 10 clients quotidiens.
  • Parallèlement, on peut estimer que chaque client de prostituée recourt à des services sexuels mensuellement.
  • On aboutit ainsi à 6 millions de clients.
  • En faisant varier les hypothèses, on déduit la fourchette de 2 à 8 millions.