mercredi 30 mars 2016

Les syndicats dernier bastion du surréalisme

Alors que le débat sur la loi baptisée « travail El Khomri » bat son plein, l’examen des statuts des principaux syndicats français est un exercice revigorant que n’auraient pas désavoué les regrettés Alfred Jarry et Franz Kafka.

FO meilleur soutien d’Uber

Après s’être longuement référée au « Congrès Confédéral d’Amiens de 1906 », la charte de FO, pourtant révisée en 2007, débute par un article stipulant :
« la Confédération Générale du Travail Force Ouvrière […] a pour but de grouper […] toutes les organisations composées de salariés conscients de la lutte à mener […] pour la disparition du salariat … »

Je soupçonne les dirigeants d’Uber, AirBnB et autres acteurs de l’économie dite numérique - dont le credo alchimique est de changer les salariés en auto-entrepreneurs et leurs patrons en donneurs d’ordre - d’être secrètement membres de FO.

CGT Marx sort de ce corps

La Picardie en général, et Amiens en particulier, exercent une attirance magnétique sur les syndicalistes puisque la CGT se réclame aussi du congrès de 1906.
Pour faire bonne mesure et rétablir un certain équilibre géographique, elle cite aussi longuement sa convention tenue à Toulouse en 1936.

L’article premier date manifestement de ces temps lointains et héroïques : « Prenant en compte l’antagonisme fondamental et les conflits d’intérêts entre salariés et patronat, entre besoins et profits, elle combat l’exploitation capitaliste et toutes les formes d’exploitation du salariat. C’est ce qui fonde son caractère de masse et de classe. »

CFDT le mal c’est vilain

Benjamin dans l’univers syndical hexagonal, la CFDT minimise les rappels historiques et ne remonte qu’en 1964.

Le préambule des statuts est une litanie d’évidences difficiles à contredire.
Petit extrait : « l’aliénation des personnes, les atteintes portées à leur dignité, la violation de leurs droits fondamentaux qu’elle qu’en soit la forme sont contraires aux valeurs humanistes, démocratiques et laïques, au progrès social et à l’efficacité de l’économie à long terme. Elles recouvrent des formes diverses, parfois complexes, selon le statut, le genre, le lieu et le moment, l’origine ou les croyances de chacun. »

Chacun d’entre nous ou presque devrait adhérer à une si louable organisation.

CFE-CGC des cadres hors cadre

Dès la première ligne, la CFE-CGC se définit comme une organisation catégorielle au service du « personnel d'encadrement [qui] constitue, à l'intérieur du monde du travail […] une entité particulière qui s'identifie par la nature de ses fonctions comportant responsabilité, initiative, technicité et fréquemment commandement de personnel. »

Toutefois, 3 paragraphes plus loin, cette belle sélectivité vole en éclats :
« la Confédération a vocation à rassembler tous ces professionnels […] exerçant ou non des responsabilités d’encadrement, de même que ceux qui aspirent à en faire partie […]. »
Bref, si une fois dans votre vie, légèrement éméché, vous avez esquissé le rêve d’être éventuellement ingénieur ou contremaître, ce syndicat vous tend les bras.

Quelques lignes plus loin, la CFE-CGC se déclare ouverte aux « non salariés », « préretraités », « retraités » et même « nouveaux ressortissants en situation d’inactivité ».
Du catégoriel universel en quelque sorte.

CFTC chrétiens mais pas trop

La Confédération Française des Travailleurs Chrétiens, au premier alinéa de sa charte, campe le décor. Elle « se réclame et s'inspire dans son action des principes de la morale sociale chrétienne ».

Un peu après, ce syndicat appelle de ses voeux une sorte de catéchisme pour adultes déficients :
« elle entend d'autre part faire appel au concours des forces intellectuelles, morales et religieuse susceptibles de servir la formation des travailleurs. »

Toutefois, la christianisation du monde du travail laissant à désirer, la CFTC affirme aussi « assumer la pleine responsabilité de cette action qu'elle détermine indépendamment de tout groupement extérieur, politique ou religieux. »

MEDEF promoteur méconnu du progrès social

Le patronat, soucieux de ne pas froisser ses interlocuteurs du « dialogue social constructif », n’est pas en reste.

Sa principale organisation se donne pour « missions » de « favoriser les progrès du management » et « d'exprimer la volonté de progrès des entrepreneurs et les convictions qu'ils tirent de leur expérience nationale et internationale sur les conditions générales du progrès économique et social ».

Fort heureusement, pour rendre hommage à ce blog et me mettre de bonne humeur, le MEDEF met aussi en avant « l’économie mondialisée ».

Confédéralement votre

Références et compléments
Les passages entre guillemets sont des extraits authentiques des statuts publiés sur le web des syndicats cités.
L’intégrale de cette superbe prose peut être lue en suivant ces liens :


Cette chronique doit beaucoup à Jean et à la caféine.

Qui aime bien, châtie et rigole bien !
L’auteur, qui n’en est pas à une contradiction près, est l'heureux membre d’une des organisations syndicales objet de ce billet d’humeur.